1er février 2012: La vision, un truc de champion!

Lorsque j'assiste à des courses de vélo de montagne de descente ou de motocross, j'entends toujours des spectateurs s'exclamer: «Veux-tu ben me dire comment ils font pour aller vite de même!»

La base de leur réussite, c'est leur vision. Je sais, ma réponse est décevante et peut-être que vous aurez le goût de me répondre «Pfffiff, moi aussi je regarde en vélo!».

Dans la précédente chronique, concernant la position des coudes, j'avais utilisé une photo du champion de descente Greg Minnaar. Je commencerai la présente chronique avec la même photo. Portez attention à l'endroit où il regarde.

Mais il ne regarde pas en avant? Justement, c'est voulu!

Voici un extrait du livre «Le Mental des Champions» concernant le rôle de la vision dans la performance: «Voir, c'est prévoir. La perception visuelle est un processus qui est avant tout attentionnel, car voir vite, c'est prévoir ce qui va se passer, et c'est organiser son attention pour traiter ces informations» (page 82).

Ce qu'il faut retenir de cette photo, c'est que Greg désire être en avance sur ce qui va se produire. Il sait qu'il est en train de tourner dans un virage surélevé, cette information, il la possède déjà. Ce qu'il veut savoir, c'est ce qu'il y a après cette courbe. Son regard est dirigé vers la sortie du virage.

J'ai eu à travailler fort sur ma vision en moto hors-route. Ça va tellement vite qu'il faut être très prévoyant sur ce qui s'en vient. Ce cliché d'endurocross (motocross d'endurance en sentiers) a été pris au circuit de St-Benoit-Labre. Je négocie une section en ligne droite de roches lousses. Je sais que je vais en ligne droite, alors ce qui m'importe, c'est ce qui vient après cette étape. Ma tête est donc légèrement tournée pour analyser la courbe qui s'en vient.

La photo suivante, elle a été prise au Mont Sainte-Anne en vélo de montagne de descente. Je me trouve à l'entrée d'un long virage surélevé et j'ai la tête davantage tournée que sur la photo précédente afin de m'adapter à l'endroit où je me trouve.

Sur cette pumptrack, pour négocier ce virage très serré en BMX, il faut quasiment avoir la tête tournée à 45 degrés pour ne pas perdre d'informations sur la piste.

Lors d'une montée en «switchback» dans les sentiers de cross-country de chez Aventures Nord-Bec Stoneham, je ne veux pas me faire surprendre. Je désire me préparer aux prochains obstacles/difficultés de la montée qui s'en viennent et non les subir une fois rendu dessus. Mécaniquement, ça me permet de faire un changement de vitesse à l'avance en douceur, au lieu de forcer trop tard et risquer un «chainsuck».

Est-ce que Geoff Kabush, le coureur considéré comme le meilleur technicien du circuit mondial de cross-country, tourne la tête lui-aussi? Bien sûr que oui.

Mais ce n'est pas tout de tourner la tête en virage. Revenons à Greg Minnaar qui est également un coureur d'endurocross. Que fait-il de particulier sur cette photo?

Ok, ce n'est pas évident, je vous donne un autre indice. Observez bien les yeux de la jeune fille en motocross. En passant, regardez ses coudes aussi, belle posture.

Un dernier indice. Le champion de vélo de montagne Steve Peat lors de la Coupe du Monde à Bromont en 2009.

La réponse: même lorsque leur corps est penché vers l'avant, ces athlètes s'efforcent de regarder vers le haut et de relever leur tête. L'objectif est de conserver une vision à long terme efficace. Malheureusement, c'est plus facile à dire qu'à faire.

Dans le feu de l'action, on oublie rapidement les principes de la vision à long terme. Notre cerveau nous fait instinctivement fixer l'obstacle à court terme, le danger. Lorsque ça se corse, la tentation de regarder proche vers le sol devient très forte.

Lors du Championnat du Monde de vélo de montagne 2011 à Champéry (Suisse), il y avait une section très escarpée à descendre accompagnée de racines glissantes. Le coureur ci-dessous regarde devant sa roue, et non au loin. J'appelle ça le «syndrome du dessus d'casque». Si je me trouvais devant ce coureur, tout ce que je verrais au niveau de sa tête, c'est son beau dessus de casque blanc.

À l'opposé, Geoff Kabush, ne change rien à sa posture malgré la difficulté du parcours. Sa tête est relevée et il sait que sa roue avant a franchi la racine, il veut connaître la suite!

Pour comprendre le rôle crucial que la vision joue afin d'anticiper ce qui s'en vient, la photo suivante représente un regard proche et un regard loin.

Les flèches vertes représentent le champ de vision «tête relevée» et la flèche rouge une vision «tête baissée». Ce qui se trouve en bleu, le cycliste atteint du «syndrome du dessus d'casque» ne le voit pas. Si le bleu représente un obstacle majeur imprévu (cycliste ayant chuté, arbre déraciné, etc.), il va ne s'en apercevoir qu'une fois rendu dessus, lorsqu'il sera trop tard. Il est en mode «réaction». À l'opposé, le cycliste ayant la tête relevée aura une fraction de secondes de plus pour se préparer à agir. Il est en mode «anticipation». C'est ce qui fait toute la différence.

Pour saisir l'importance de ces précieuses fractions de secondes, imaginez-vous être au guidon d'une moto de rallye qui participe au Paris-Dakar ou au Baja 1000. Vous allez atteindre des vitesses de pointe de plus de 200km/h (top speed 127mph) sans savoir ce qui vous attend dans le désert (il n'y a pas de tour de reconnaissance). La vision devient un outil qui permet d'anticiper ce qui s'en vient, d'agir en conséquence et de rester en vie. À une telle vitesse, malheureusement, il y a des décès lorsque ça ne va pas comme prévu.

Pour revenir au vélo de montagne, Charles-Alexandre Dubé est le Vice-champion du Québec Sénior Élite de descente 2011 et Champion 2010. Analyser l'une de ses photos est révélateur. On constate qu'il regarde la sortie du virage (tête tournée) et qu'il anticipe ce qui s'en vient (tête levée). La position de ses coudes, c'est également #1.

Évidemment, il serait réducteur de prétendre que sa posture est la seule raison de ses succès. Mais si vous jetez un coup d'œil aux liens web qui se trouvent à la fin de la chronique, vous constaterez que la vision est considérée comme une «technique de pro» à maîtriser.

Les bienfaits d'une vision appropriée ne se mesurent pas que par une augmentation de la vitesse. Regarder au bon endroit permet de rouler moins tendu, d'économiser son énergie, de diminuer les risques de chutes et d'éviter des bris mécaniques. Que vous soyez un sportif cycliste récréatif ou compétitif, il y a des bienfaits à en retirer.

Ces trucs de vision s'appliquent aussi dans d'autres sports. En effet, l'ouvrage «Le Mental des Champions» mentionne que «Les automatismes que développent ces champions ont la particularité d'être à la fois spécifiques et adaptables, et donc transférables à des sports présentant des similitudes» (page 76).

Guerlain Chicherit a été Champion du Monde de ski freeride 1999-2000-2002-2006-2007, champion de France de ski de bosses 1996, champion de France 2003 de rallye automobile, vainqueur du trophé Andros 2003 et il a été deux fois pilote officiel BMW pour le Paris-Dakar. Voici comment il a transféré sa vision de skieur extrême à celle de pilote automobile: «Passer d'un sport à un autre, c'est prendre les mêmes qualités techniques de base et les adapter à chaque sport. C'est-à-dire la perception visuelle, l'anticipation, la trajectoire, la vitesse, l'engagement. Quand je suis dans ma voiture, j'ai l'impression de skier, je roule sur les dunes comme je skie sur la neige. C'est pour ça que je ne suis jamais dans les mêmes traces que les autres, je ne roule jamais comme tout le monde, je m'amuse, et je joue avec ma voiture, la glisse, c'est ça, je m'amuse tout le temps. Une dune, tout le monde va passer dans l'axe et là, à un moment, on ne voit pas ce qui se passe devant, s'il y a un trou, on ne le voit pas, et quand on y est, c'est trop tard. Moi, avec ma ligne, ce n'est pas pareil, je la prends sur le côté, et quand je monte la dune, je suis désaxé. C'est plus risqué car on peut s'ensabler, ça demande plus de vitesse, mais je vois tout le temps ce qu'il y a devant. C'est pour ça que ma ligne est différente de celles des autres» (page 76).

Et vous cher(e)s lecteur(trices), après avoir analysé les photos de votre saison 2011, regardez-vous comme un pro? Si la réponse est oui, bravo et continuez. Si la réponse est non, rassurez-vous, ça se corrige.

Quelques liens d'intérêt:

Pro Secrets: Eyes Up! With Honda Red Bull Racing's Ivan Tedesco
Why Our Instincts Fail Us On Our Mountain Bikes!
Look ahead motocross dirtbike riding tip
One of the Most Important Mountain Bike Riding Habits
Le Mental des champions

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