10 mai 2007: Le syndrome Ilio-tibial

Pour les chiropraticiens intéressés dans le traitement des sportifs, les conditions impliquant les tissus mous sont d'une importance particulière. Le genou ainsi que les tendons et muscles qui l'entourent sont une cible privilégiée pour les blessures et les douleurs. En effet, cette articulation doit supporter environ 95% du poids corporel1 en plus d'offrir une amplitude de mouvement appréciable. De plus, le genou est constamment en mouvement dans nombre d'activités, qu'elles soient autoportantes (course à pied) ou non (bicyclette). Outre les désordres fémoro-patellaires, le syndrome ilio-tibial est une des problématiques de sur-utilisation les plus souvent rencontrées chez les cyclistes et les coureurs. En débutant par l'étude anatomique et biomécanique de la bandelette ilio-tibiale (BIT) ou fascia lata (FL), nous discuterons des symptômes et des causes de cette condition, de son diagnostic et de son traitement.

Anatomie:

Figure 1 : Anatomie de la bandelette ilio-tibialeLa bandelette ilio-tibiale est une couche large, solide et épaisse de tissu conjonctif (fascia) qui recouvre principalement le chef latéral du quadriceps et le sépare en profondeur des muscles de la loge postérieure (2,13). La BIT émerge au niveau du grand trochanter pour s'attacher sur le condyle latéral du tibia, plus précisément sur le tubercule de Gerdy 3,4,13. Quelques fibres s'étendent également au rétinaculum latéral de la patella, suggérant une possible implication dans les syndromes fémoro-patellaires 5,13. Dans sa partie supérieure, la BIT est tendue par le muscle tenseur du fascia lata (TFL) qui se continu dans le même axe jusqu'à l'épine iliaque antéro-supérieure (ASIS). Les trois quarts des fibres du muscle grand fessier et une partie du moyen fessier viennent s'attacher obliquement à l'extrémité supérieure de la BIT 2,4,13, le tirant vers le haut et l'arrière. Les chercheurs, cliniciens et chirurgiens ont longtemps cru à la présence d'une bourse entre le condyle fémoral et la BIT, mais un article récent dément cette croyance15. On retrouvait à cet endroit un simple coussinet graisseux.

Rôle:

C'est précisément cette action que tente de compenser le TFL, stabilisant la BIT en position médiane sur l'aspect latéral de la cuisse2. Cependant, le rôle majeur de la BIT et de son muscle tenseur est de maintenir la tête du fémur dans la cavité acétabulaire. Le FL agit comme une sangle qui maintient le membre inférieur à la hanche2 contribuant au maintien de la station debout. Pour sa part, la contraction du TFL permet la rotation interne et l'abduction et dans une moindre mesure l'extension de la cuisse3. Ce petit muscle permet également la flexion de la hanche. On constate l'importance du système ilio-tibiale qui couvre deux articulations et en assure la stabilité et le mouvement. Lors du cycle de pédalage le TFL se contracte principalement dans la phase de monté. La BIT passe de la partie avant du genou à la partie arrière aux environs de 30 degrés de flexion du genou. Cet angle est généralement atteint lors de l'extension maximale (pied en bas) à vélo. C'est à cet angle que la friction est maximale entre le condyle fémoral et la BIT.14

Pathologie:

En raison de cette relation avec l'articulation du genou, un frottement se produit entre le condyle latéral du fémur et la bandelette ilio-tibiale. Cette friction, lorsque accentuée et répétée, est à l'origine du syndrome ilio-tibial. Par exemple, lors d'un mouvement répétitif du membre inférieur, le coussinet adipeux sous la BIT sera irrité. Plus le FL est tendu, plus l'irritation sera grande. À cet effet, la tension générée dans le FL est maximale lors d'une flexion de 30° à 35° de la hanche4,6. C'est à ce moment que le puissant muscle grand fessier exerce son action d'extenseur du genou7. Les sports comme le cyclisme et la course à pied répondent précisément à ces conditions. C'est pourquoi on retrouve une incidence élevée de cette condition chez les adeptes de ces activités. Par contre, il est intéressant de noter que le syndrome ilio-tibial s'observe que rarement chez les fervents de sports à haute vitesse ou qui impliquent des mouvements dans plusieurs directions4. Ceci s'explique par le fait que moins de temps est passé dans la zone critique de 30 degrés où la friction est maximale. On peut donc conclure que plus l'activité est fait lentement en plus d'exigé le développement d'une force importante, plus il y aura de risque de développer une irritation de la bandelette ilio-tibiale. D'où l'importance de sélectionner un engrenage plus facile et de mouliner plus rapidement à bicyclette.

Un nouveau courant de pensée émerge actuellement quant à l'étiologie de ce mystérieux syndrome. Certains auteurs affirment que la BIT est en fait immobile par rapport au condyle fémoral et que par conséquent on n'observe pas de friction entre ces structures13,15. Ce serait donc plutôt un phénomène de pression du coussinet graisseux qui est fortement vascularisé et innervé qui serait impliqué. Les auteurs parlent alors du syndrome de compression du FL. Dans ce cas, la cause principale serait un débalancement des muscles de la hanche, principalement les abducteurs.15

D'autres facteurs aggravant sont soulevés dans la littérature. On note l'hypertonie des muscles TFL9 et grand fessier évidemment, mais aussi l'hyper supination du pied et le genu varum8. Toutefois, selon Orchard et al.10 ce syndrome n'apparaît que s'il y a une prédisposition congénitale du sujet. Dans un tel cas, on retrouvera généralement une largeur excessive de la bandelette au niveau du condyle fémoral.

Ces différentes causes entraînent des symptômes qui sont parfois confondus avec ceux d'une sciatalgie. En effet, l'irritation du nerf fibulaire, branche distale du nerf sciatique, suscite des douleurs et des engourdissements de l'arrière de la jambe rappelant les signes d'une sciatalgie9. Cependant, dans la majorité des cas, la douleur sera principalement localisée 3 cm au-dessus de l'articulation latérale du genou4. La douleur peut également s'étendre vers le haut jusqu'à la hanche et au fessier. Dans les cas plus sévères ou chroniques, des dérangements biomécaniques peuvent se manifester de l'articulation du genou dus à la rotation interne du tibia. Une usure prématurée du cartilage articulaire sera alors à surveiller. De plus, on notera régulièrement une lombalgie associée au syndrome ilio-tibial en raison de la flexion antérieure du bassin9. Dans certains cas, une bursite trochantérique est observée et entraîne une douleur à l'adduction passive et à l'abduction résistée2.

Selon Innes et al.11, l'hypertonie du FL pourrait entraîner des conséquences négatives à l'épaule controlatérale. Un système de fascias allant du FL à l'épaule en passant par le fascia thoraco-lombaire et le muscle grand dorsal en serait l'explication la plus plausible.

Tests diagnostics:

Figure 2: Illustration du test d'OberTel qu'abordé ci-haut, le syndrome ilio-tibial trompe parfois les cliniciens par la distribution dermatomale de la douleur s'apparentant à celle de la douleur sciatique. Le choix judicieux et la réalisation consciencieuse des épreuves diagnostiques sont d'une importance capitale afin de différencier adéquatement ces deux conditions. Le test d'Ober (figure 2) est essentiel au diagnostic du syndrome ilio-tibial. Un test positif révèle une tension du FL, ou restriction latérale12, laquelle augmente les forces de cisaillement avec les surfaces osseuses. La palpation le long du FL peut susciter la douleur et démontrer des zones de tension dans la région du grand trochanter et de l'insertion sur le tibia. La douleur peut également être provoqué par l'extension de la jambe à 30° lors du test d'Ober modifié ou encore l'inversion du pied9. Le test de Noble confirmera l'irritation de la portion distale de la BIT.

Traitements:

Le traitement doit d'abord viser à réduire l'inflammation pour ensuite se concentrer sur le relâchement de la tension4,16,17. La glace sera donc considérée seulement lors de phases aiguës. Ensuite on préférera la chaleur et on procèdera à des techniques de tissus mous tel que "l'active release" du TFL et du grand fessier et les frictions du fascia. L'utilisation d'anti-inflammatoires peut également aider à contrôler la douleur16. L'arrêt de l'irritants, dans le cas actuel plus souvent la course et le vélo, peut être nécessaire. L'entraînement en piscine permettra de conserver les acquis cardiovasculaires (référence entrainement croisé). Les frictions transverses au niveau du trochanter et du tibia et l'application de massages descendant le long de la cuisse sont particulièrement efficaces4,16. Le patient appréciera le relâchement de la tension procuré par ces techniques. Des méthodes d'étirement passif (PNF) seront d'abord utilisées16,17 pour ensuite être suppléés par des étirements personnels actifs tel que celui démontré à la figure 4 plus bas.

Le clinicien consciencieux s'assurera d'identifier la cause de l'irritation du FL, que ce soit l'hyper supination, le genu varum ou tout autre dérangement biomécanique ou musculaire. Une étude approfondie du mouvement impliqué dans l'apparition de la douleur le guidera dans ses conseils au sujet de la posture ou de l'utilisation d'accessoires. Pensons notamment au cycliste chez qui la rotation interne exagérée du tibia imposée par les fixations des souliers peut exacerber ou même déclencher les symptômes du syndrome ilio-tibial6,14. Une selle trop haute ou trop en avant aura les mêmes fâcheuses conséquences16. Il serait également utile de conseiller l'athlète sur l'utilisation de fixation avec flottement latéral ainsi que sur sa position de conduite. La technique de pédalage peut également être en cause. Un moulinage lent implique une force plus importante et donc une tension accrue sur le FL, bien que ce soit plus la répétition que la force qui est en cause en vélo.14 Choisissez donc un développement qui permettra de maintenir une cadence de plus de 80 RPM. Des orthèse peuvent également aider à diminuer l'irritation tibiale6. Un protocole de renforcement des muscles abducteurs (fessiers moyen et petit) permettra de rétablir l'équilibre musculaire de la hanche.13 L'étirement des muscles gastrocnémiens et soléaire est également bénéfique afin de permettre une plus grande amplitude de mouvement de la cheville en dorsiflexion et ainsi diminuer la flexion du genou lors de la course notamment.16

Figure 3 : Exercice Step-Down pour renforcer les abducteursLe retour à l'entrainement se fera progressivement par des exercices spécifiques comme l'abduction couché et le Step-down (figure 3). Ensuite, une fois la douleur absente lors des exercices de renforcement, le sujet pourra commencer la course à pieds un jour sur deux par de courts sprints. Sur 3-4 semaines il augmentera la durée, la distance et la fréquence jusqu'au retour au niveau d'avant la blessure.

Le syndrome ilio-tibial affecte de nombreux athlètes en diminuant leur performance et leur bien-être. De plus, son apparition est souvent insidieuse et banalisée. De part l'importance et la complexité du FL, une évaluation attentive et des traitements efficaces doivent être entrepris le plus promptement possible. Cependant, ne serait-il pas plus aisé de prévenir le syndrome ilio-tibial par l'éducation des sportifs et le counselling en matière de posture et de biomécanique sportive ?



Figure 4 : Étirement du tenseur du fascia lata et de la
bandelette ilio-tibiale. L'étirement sera plus efficace si le
patient fait une extension du bras au-dessus de la tête.16

Références

  1. Allard P., Blanchi J.-P. et al. Analyse du mouvement humain par la biomécanique. 2e éd., Décarie : 53-54, 2000
  2. Hammer W. Don't forget Ober's test. Chiroweb
  3. Bronchti G., Note de cours anatomie humaine: membre inférieur. UQTR : 33-34, 2002
  4. Hammer W. Soft tissue. Chiroweb
  5. Kwak S.D., Ahmad C.S., Gardner T.R., et al. Hamstrings and iliotibial forces affect knee ligaments and contact pattern. J Ortho Res, 18, 101-108, 2000
  6. Souza. T, The chiropractic sport physician: the bicyclist, part II. Chiroweb. 12, 1996.
  7. Perry J. Gait analysis: Normal and pathological function. Thorofore, 1992.
  8. Batchelor D. Chiropractic sports medicine: conditions and treatments. Chiroweb.
  9. Kendall F.P., McCreary E.K., Provance P.G. Muscles: testing and function. 4e éd. Williams and Wilkins, 1993.
  10. Orchard JW, Fricker PA, Abud AT et al. Biomechanics of iliotibial band friction syndrome in runners. Am J Sports Med 24: 375-379, 1996.
  11. Innes K. The motion of systems and not their anatomy frequently defines a disorder. Dynamic Chiropractic 17(9): 18-19, 1999.
  12. Hammer W. Functional soft tissue examination and treatment by manual methods. New perspectives, 2e éd. Gaitherburg, MD: 227-228, 1999
  13. Fairclough J, Hayashi K., Toumi H, Lyons K, Bydder G, Phillips N, Best TM, Benjamin M. The functional anatomy of the iliotibial band during flexion and extension of the knee: implications for understanding iliotibial band syndrome. J. Anat. 2006;208, 309-16.
  14. Farrell KC, Reisinger KD, Tillman MD. Force and repetition in cycling: possible implications for iliotibial band friction syndrome The Knee 2003;10:103-9.F
  15. Fairclough J, Hayashi K, Toumi H, Lyons K, Bydder G, Phillips N, Best TM, Benjamin M. Is iliotibial band syndrome really a friction syndrome? J Science Med Sport 2007;10: 74-6.
  16. Fredericson M and Wolf C Iliotibial Band Syndrome in Runners: Innovations in Treatment Sports Med 2005; 35(5): 451-9.
  17. Fredericson M, Guillet M. Quick Solutions for Iliotibial Band Syndrome Phys sport Med 2000;28(2)
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